Lettre du cardinal Seper à Mgr Lefebvre

28 janvier 1978

SACRA CONGREGATIO PRO DOCTRINA FIDEI                     00193 Romae, 28 janvier 1978. Piazza del S. Uffizio, 11

Prot. N. 1144/69

(In responsione fiat mentio huius numeri)

Excellence,

Sa Sainteté le Pape Paul VI a chargé la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi d'examiner votre situation dans l'Eglise au point de vue des positions doctrinales que vous avez prises dans vos déclarations et vos écrits et qui s'expriment aussi dans vos entreprises.

L'examen approfondi demandé par le Saint-Père a été accompli en conformité avec la Ratio agendi de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (A.A.S. 63 1971 234-236) et avec un réel souci d'objectivité. Malheureusement on a dû relever, dans vos déclarations orales ou écrites, des erreurs et des opinions dangereuses qui se manifestent aussi dans votre manière d'agir.

La Ratio agendi de la Congrégation prescrit : «13. Propositiones enuntiatae, quae erratae vel periculosae habitae sunt, ipsi auctori significantur, ut, intra unum mensem utilem, scriptam suam responsionem transmittere possit. Quodsi insuper opus sit colloquio, auctor invitabitur, ut cum viris a Sacra Congregatione deputatis conveniat et conferat».

Je vous demande donc, Excellence, de prendre connaissance devant Dieu de la notification officielle que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi vous envoie. Vous la trouverez avec des explications opportunes dans l'Annexe ci-jointe. Elle contient de graves critiques, qui ne sont pas pour autant des jugements sans appel. Cette Congrégation vous demande à leur sujet, dans le délai prévu par la Ratio agendi à l'article précédemment cité, des réponses auxquelles vous êtes en droit de donner diverses formes : depuis celle d'une justification ou de l'éclaircissement d'un malentendu, jusqu'à celle de l'aveu confiant d'une erreur que vous seriez prêt à corriger, ou d'une déviation que vous voudriez redresser. Ces réponses seront étudiées avec un intérêt bienveillant ; car la Congrégation pour la Doctrine de la Foi désire ardemment qu'avec l'aide du Seigneur vous puissiez trouver le chemin d'une vraie réconciliation avec le Vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Eglise.

Veuillez agréer, Excellence, l'assurance de ma prière et l'expression de mon dévouement en Notre-Seigneur.

Franc. Card. Seper, Préf.

fr. Jérôme Hamer O. p. secr.

ANNEXE

Dans cette Annexe, Monseigneur, on relèvera des assertions qui se trouvent dans vos discours ou vos écrits et que la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi estime dangereuses ou erronées. On mettra certaines d'entre elles en relation avec vos entreprises et votre comportement, quand ceux-ci semblent contribuer à en éclairer la portée. L'annexe comprendra deux parties qui auront, chacune, leurs subdivisions. La première partie traitera d'assertions particulières sur: 1) la liberté religieuse d'après Vatican II ; 2) l'Ordo Missæ promulgué par le Pape Paul VI ; 3) le rite de la Confirmation également promulgué par lui. La deuxième partie aura pour objet des assertions plus générales : 1) sur l'autorité du Concile Vatican II ; 2) sur l'autorité du Pape Paul VI.

I — ASSERTIONS PARTICULIERES

1. — La liberté religieuse selon le Concile Vatican II

Bien des fois, Monseigneur, vous vous êtes exprimé à son sujet, - par exemple dans le texte suivant :

«Jamais ce terme-là [celui de liberté religieuse] n'a été compris dans le sens admis par le Concile. Tous les documents précédents de l'Eglise qui parlent de la liberté religieuse entendent parler de la liberté de la religion [vraie] et jamais de la liberté des religions. Toujours, lorsque l'Eglise a parlé de cette liberté-là, elle a parlé de la liberté de la religion [vraie] et de la tolérance vis-à-vis des autres religions. On tolère l'erreur. Lui donner la liberté, c'est lui donner un droit : or elle n'en a pas. La vérité seule a des droits. Admettre la liberté des religions, c'est donner le même droit à la vérité qu'à l'erreur. Cela est impossible. Jamais l'Eglise ne peut dire une chose pareille. A mon avis, oser dire cela est blasphémer... Si nous avons la foi, nous n'avons pas le droit d'admettre cela ; c'est l'erreur du droit commun qui a été condamnée par Pie IX et tous les Papes» (M. Lefebvre, Un évêque parle, Jarzé, 1976. p. 196-197).

Cette déclaration appelle les remarques suivantes

1° — La Déclaration sur la liberté religieuse doit être lue dans le contexte des autres documents conciliaires, en particulier la Constitution dogmatique Lumen Gentium. Elle dit clairement que l'«unique et vraie religion (...) subsiste dans l'Eglise catholique et apostolique, à qui le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes» (Dignitatis Humanæ, 1).

2° — Le Concile n'enseigne nullement cet indifférentisme religieux condamné par les Papes. Il affirme au contraire que les hommes ont l'obligation morale de chercher la vérité, de la reconnaître et de régler toute leur vie selon ses exigences (Dignitatis Humanæ, 2). Il rappelle aux fidèles le devoir de l'apostolat missionnaire et celui de se former la conscience par la doctrine «sainte et certaine» de l'Eglise catholique «maîtresse de vérité de par la volonté du Christ» (cf. D.H., 14).

3° — Le Concile reconnaît à la personne humaine le droit à la liberté religieuse, c'est-à-dire le droit d'être à l'égard de tout pouvoir humain, exempte de contrainte (coercitio) en matière de recherche, de choix, de profession même publique d'une religion (D.H., 2). Il fonde ce droit non pas sur un prétendu «droit» égal de ou à la vérité et à l'erreur, mais sur la transcendance de la personne et de ses choix ultimes à l'égard de la société civile, sur le mode connaturel à l'homme de tendre à la vérité et de la reconnaître selon le jugement de sa conscience et sur la liberté de l'acte de foi. (D.H. 2, 3, 10.)

4° — L'affirmation de ce droit à la liberté religieuse est dans la ligne des documents pontificaux antérieurs (cf. D.H., 2, note 2) qui, face aux excès de l'étatisme et aux totalitarismes modernes ont affirmé les droits de la personne humaine. Par la Déclaration conciliaire, ce point de doctrine entre clairement dans l'enseignement du Magistère et, bien qu'il ne soit pas l'objet d'une définition, il réclame docilité et assentiment (cf. Const. Dogm. Lumen Gentium, 25).

Il n'est donc pas licite aux fidèles catholiques de le rejeter comme erroné, mais ils doivent l'accepter selon le sens et la portée exacte que lui a donné le Concile, compte tenu de «la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l'homme et des sociétés envers la vraie religion et l'unique Eglise du Christ» (cf. D.H., 1).

2. — L'Ordo Missae promulgué par le Pape Paul VI

Votre critique de l'Ordo Missae promulgué par Paul VI va loin au-delà d'une préférence liturgique, elle a un caractère essentiellement doctrinal. Vous dites avec raison qu'il y a trois réalités essentielles au Sacrifice de la Messe : «Le Prêtre... la présence réelle et substantielle de la Victime qui est le Christ ... l'oblation sacrificielle réalisée par le prêtre dans la Consécration» (Un évêque parle... p. 142). Malheureusement vous ajoutez que «toute la Réforme [liturgique] directement ou indirectement porte atteinte à ces trois Vérités essentielles à la foi catholique», que «tout ce qui a été prescrit se ressent clairement [d'une] nouvelle conception plus proche de la conception protestante que de la conception catholique» (loc. cit.). Et vous déclarez : «Il n'y a plus rien dans cette nouvelle conception de la Messe... C'est pourquoi je ne vois pas comment on peut faire un séminaire avec cette nouvelle Messe» (op. cit., p. 163). Vous vous gardez cependant de dire que la nouvelle Messe est hérétique : «Jamais, assurez-vous, vous ne direz cela (op. cit., p. 228). Mais les «changements du nouveau rite» sont propres à faire que les «jeunes prêtres perdent l'intention de faire ce que fait l'Eglise et ne disent plus de messes valides» (op. cit., p. 285-286 ; cfr. p. 143, 196). Malheureusement il vous arrive de parler d'une manière beaucoup moins modérée : «Comment peut-on hésiter - dites-vous - entre une messe qui est un véritable Sacrifice et une messe qui est en définitive un culte protestant, un repas, une eucharistie, une cène comme le disait déjà Luther ?» (Discours : Pour l'homme de l'Eglise, p. 20.) On peut voir, dans cette dernière expression un excès de langage (condamnable certes), mais le reste est déjà suffisamment grave.

Un fidèle ne peut en effet mettre en doute la conformité avec la doctrine de la foi d'un rite sacramentel promulgué par le Pasteur suprême, surtout s'il s'agit du rite de la Messe qui est au cœur de la vie de l'Eglise.

Certes, il faut maintenir le lien entre le prêtre et l'accomplissement du sacrifice de la Messe dans la consécration (et la transsubstantiation). L'Ordo missæ de Paul VI le fait, en réservant au prêtre seul les paroles de la consécration et l'ensemble du canon, tout comme dans le rite antérieur.

La nouvelle liturgie eucharistique ne porte pas atteinte à la foi en la présence réelle et substantielle du Christ sous les apparences du pain et du vin. Si le nombre de génuflexions est restreint, celles-ci sont maintenues pourtant comme signe d'adoration aux moments culminants de la messe : la consécration et la communion. La foi traditionnelle en la présence réelle demeure parfaitement signifiée par l'élévation et la prière finale du canon ; elle est mise en relief dans la distribution de la communion, et affirmée clairement dans beaucoup d'oraisons après la communion.

Enfin le caractère sacrificiel et propitiatoire de la messe, absolument réaffirmé conformément au Concile de Trente dans le Proemium n° 2 de l'Institutio generalis du nouveau Missel Romain, est signifié clairement et expressément non seulement dans beaucoup de prières après l'offrande des oblats, mais également dans les Canons.

Du reste, vous-même admettez bien la validité du nouvel Ordo Missae, suspectant seulement la valeur de l'intention chez beaucoup de ceux qui l'appliquent. Pourtant, vos déclarations à son sujet et votre opposition à son usage répandent parmi les fidèles la défiance, le désarroi, voire la rébellion.

Vous avez souvent voulu justifier votre opposition par la nécessité de combattre les abus et le désordre qui accompagnent en bon nombre de pays la mise en œuvre de la réforme liturgique. Ce n'est cependant pas en jetant la suspicion sur l'orthodoxie d'un Ordo Missae promulgué par l'Autorité suprême de l'Eglise que vous parviendrez à un résultat positif.

3. — Le Sacrement de la Confirmation

Vous avez déclaré : «[Les ministres du sacrement de la confirmation] doivent préciser la grâce spéciale du Sacrement par lequel se donne l'Esprit-Saint. Si on ne dit pas cette parole : Ego confirmo te in nomine Patris..., il n'y a pas de sacrement» (Un évêque parle, p. 287). Et vous avez ajouté : «Maintenant une formule courante est Je te signe de la Croix et reçois le Saint Esprit»

Le nouvel Ordo Confirmationis promulgué par Paul VI, prescrit la «forme» suivante du sacrement : «Accipe signaculum Doni Spiritus Sancti» (1971) ; et le Rituel français publié après ce nouvel Ordo traduit : «Reçois la marque de l'Esprit Saint qui t'est donné». Cette traduction est bonne.

En relation avec ce que vous pensez, Monseigneur,. sur la «forme» du sacrement de la confirmation, il vous est arrivé plusieurs fois de conférer illicitement la confirmation, voire de faire des «reconfirmations». Mais savez-vous que la «forme» adoptée par Paul VI est la forme du rite byzantin de la confirmation très antérieure au schisme d'Orient (on la voit apparaître dès le quatrième siècle) ? Et inversement que la formule «...Confirmo te», absente pendant de longs siècles, s'est répandue au cours du moyen-âge ?

Votre affirmation précitée est donc injustifiable et l'on pourrait parler d'une erreur objectivement proche de l'hérésie. Elle revient à dire que pendant des siècles l'Eglise n'aurait pas eu de confirmation valide et en outre elle méconnaît la doctrine catholique concernant le pouvoir de l'Eglise sur les rites sacramentels, restant sauve la «substance» des sacrements (cf. Conc. Trid. Sess. XXI, Doctrina de communione sub utraque specie et parvulorum, DS 1728 ; Pie XII, Const. Apost. Sa­cramentum Ordinis, 30.11.1947, DS 3857, 3858 ; Paul VI, Const. Apost. Divinae Consortium Naturae, 15.8.1971. AAS LXIII (1971) p. 657-664).

4. — Le Sacrement de la Pénitence

Vous avez déclaré, dans un discours du Vendredi Saint de 1977 : «Les absolutions générales peuvent exciter à la contrition, elles ne sont pas sacramentelles» (Un évêque parle, p. 151). Vous avez en vue - d'après le contexte - l'Ordo pour la réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution générales. Mais depuis longtemps la doctrine commune des théologiens est qu'en cas de nécessité, une absolution collective sans confession des différents péchés graves est valide et licite. Reste l'obligation de soumettre directement au pouvoir des clés les péchés graves qui n'ont pu être confessés. Le 25 mars 1944, la Sacrée Pénitencerie a émis une Instruction où elle détermine dans quels cas spéciaux ces absolutions sont licites. Le 16 juin 1972, la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi a promulgué des Normes pastorales circa absolutionem sacramentalem generali modo impertiendam, qui ont été ensuite insérées dans les Praenotanda du nouvel Ordo paenitentiae (nn. 31-34). Ces Normes (qui maintiennent l'obligation de compléter l'absolution donnée collectivement en cas de nécessité, par la confession des péchés graves) restent tout à fait dans la ligne de l'Instruction antérieure. Les abus que l'on peut constater dans l'usage des absolutions collectives ne peuvent justifier votre déclaration générale selon laquelle ces absolutions ne sont pas sacramentelles.

II — ASSERTIONS PLUS GENERALES

1. — Remarque préliminaire

Les déclarations plus ou moins générales, Monseigneur, que vous avez faites contre l'autorité du Concile Vatican II et contre celle du Pape Paul VI, traitent souvent de ces deux points à la fois. Néanmoins on considérera ici d'abord vos déclarations qui ne concernent que l'autorité du Concile ou la concernent plus directement, ensuite celles qui ne concernent que l'autorité de Paul VI ou la concernent, principalement.

Ces déclarations sont d'autant plus graves qu'elles s'unissent à une «praxis» qui va dans le même sens qu'elles. Elles font que naturellement la question se pose : ne se trouve-t-on pas devant un mouvement schismatique ? Cette question doit être examinée objectivement. Rappelons, car elle devra éclairer cet examen, la définition du «schismaticus» proposée par le Droit canonique : «Si [quis] denique subesse renuit Summo Pontifici aut cum membris Ecclesiae ei subiectis communicare recusat, schismaticus est» (C.I.C., can. 1325, 2). Il y a donc deux refus (étroitement liés entre eux) qui font, chacun, qu'un chrétien soit schismatique : le refus (pratique) de rester un sujet du Souverain Pontife, et le refus de la communion avec les membres, de l'Eglise qui lui demeurent soumis.

2. — L'autorité de Vatican II

Vous ne vous contentez pas, Monseigneur, de contester comme contraires à la Tradition la Déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse et certaines affirmations conciliaires isolées, vous dénoncez aussi, dans l'enseignement du Concile, un esprit très largement opposé au message chrétien.

Vous écrivez en effet dans votre livre, J'accuse le Concile (1976), p. 5 : «Des orientations libérales et modernistes se firent jour [au Concile] et eurent une influence prépondérante, grâce au véritable complot des Cardinaux des bords du Rhin malheureusement soutenus par Paul VI». Et puis, aux pages 7-9 du même livre : «Nous sommes fondés à affirmer... que l'esprit qui a dominé au Concile et en a inspiré tant de textes ambigus et équivoques et même franchement erronés, n'est pas l'Esprit-Saint, mais l'esprit du monde moderne, esprit libéral, teilhardien, moderniste, opposé au règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Toutes les réformes et orientations officielles de Rome sont demandées et imposées au nom du Concile. Or ces réformes et orientations sont toutes de tendances franchement protestantes et libérales... Les bons textes ont servi pour faire accepter les textes équivoques, minés, piégés. Il nous reste une solution : abandonner ces témoins dangereux pour nous attacher fermement à la Tradition, soit au Magistère officiel de l'Eglise pendant vingt siècles». Déjà votre Déclaration du 21 novembre 1974 rendait le même son (Un évêque..., p. 270-272).

Cette sorte de condamnation globale du Concile, malgré de «bons textes», à cause «d'orientations libérales et modernistes» qui y eurent «une influence prépondérante», qui permettent de dire que «l'esprit qui a dominé le Concile... est un esprit libéral, teilhardien, moderniste, opposé au règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ» au point qu'«il nous reste une solution : abandonner ces témoins dangereux, pour nous attacher fermement à la Tradition», cette sorte de condamnation globale, doit-on dire, est singulièrement grave.

Car la voix du Concile a été celle de l'ensemble de l'épiscopat uni à son chef, le Successeur de Pierre, et c'est l'ensemble de l'épiscopat romain soumis au Pape avec le peuple fidèle qui admet le Concile et les réformes conciliaires. Si l'on prend vos paroles dans la plénitude de leur sens, n'est-on pas fondé à dire que vous refusez ou que vous êtes près de refuser la communion avec les membres de l'Eglise soumis au Pape.

Et votre «praxis» ne corrige point les choses. En effet, vous ordonnez des prêtres contre la volonté formelle du Pape et sans les «litterae dimissoriae» requises par le Droit Canonique ; vous envoyez des prêtres ordonnés par vous dans des prieurés où ils exercent leur ministère sans l'autorisation de l'Ordinaire du lieu ; vous faites des discours propres à répandre vos idées dans des diocèses dont l'évêque vous refuse son consentement ; avec des prêtres que vous avez ordonnés et qui ne dépendent en fait que de vous, vous commencez, que vous le vouliez ou non, à former un groupement propre à devenir une communauté ecclésiale dissidente.

A ce propos il faut relever l'étonnante déclaration que vous avez faite (Conférence de presse du 15.9.1976 in ITINÉRAIRES, déc. 1976, p. 126-127) au sujet de l'administration du sacrement de pénitence par les prêtres que vous avez illicitement ordonnés et qui ne sont pas pourvus de la faculté d'entendre les confessions. Vous estimiez que ces prêtres avaient la juridiction prévue par le Droit canonique pour les cas de nécessité : «Je pense, disiez-vous, que nous nous trouvons dans des circonstances non pas physiques, mais morales extraordinaires, telles que nos jeunes prêtres ont le droit d'utiliser ces facultés extraordinaires». N'était-ce pas raisonner comme si la hiérarchie légitime avait cessé d'exister dans les régions où ces prêtres se trouvaient ?

Il est vrai que, dans vos déclarations plus ou moins générales contre le Concile et les réformes demandées par lui, il est juste de faire la part de l'émotivité ou, comme vous l'avez dit, «d'un sentiment d'indignation, sans doute excessive» (Un évêque parle, p. 292). Il est vrai aussi que vous avez déclaré, à plusieurs reprises, que vous ne consacrerez pas d'évêque et que vous avez affirmé votre conviction de «demeurer fidèle à l'Eglise Catholique et Romaine, et à tous les successeurs de Pierre» (op. cit., p. 272). Oui, mais tout ceci suffit-il à effacer ce qui précède ?

3. — L'autorité du Pape Paul VI

Au sujet de l'autorité du Pape Paul VI et plus précisément de l'attitude qu'il convient de prendre vis-à-vis de son autorité, vous avez des affirmations qui diffèrent entre elles.

Il arrive que vous paraissiez, dans des textes pris isolément, la récuser d'une manière fort générale. Ainsi dans la phrase mise en exergue à votre livre Un évêque parle... : «Le coup magistral de Satan est d'être arrivé à jeter [l'ensemble de l'Eglise] dans la désobéissance à toute la tradition par obéissance [au Concile et à la réforme conciliaire prescrite par le Saint-Siège]». Ainsi encore dans cette phrase de Fraternité sacerdotale S. Pie X, Lettre aux amis et bienfaiteurs, n° 9 (octobre 1975) : «C'est parce que nous estimons que toute notre foi est en danger par les réformes et les orientations postconciliaires que nous avons le devoir de «désobéir» et de garder les traditions. C'est le plus grand service que nous pouvons rendre à l'Eglise catholique, au successeur de Pierre, au salut des âmes et de notre âme, que de refuser l'Eglise réformée et libérale, car nous croyons en Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, qui n'est ni libéral ni réformable». (Note. - Ce texte est reproduit dans Un évêque parle..., p. 323, mais dans la première phrase le mot «toute» est supprimé.)

Par ailleurs vous avez des textes qui affirment avec force votre soumission au successeur actuel de Pierre, le Pape Paul VI : «Votre Sainteté - écrivez-vous - sait parfaitement quelle est la foi que je professe, qui est celle de son «Credo», et connaît également ma profonde soumission au Successeur de Pierre que je renouvelle dans les mains de Votre Sainteté» (Lettre du 22-VI-1976). Vous répondez aussi à l'abbé de Nantes, qui vous avait laissé entendre qu'une rupture «d'un évêque avec Rome» serait «souhaitable» : «Sachez que, si un évêque rompt avec Rome, ce ne sera pas moi» (Un évêque..., p. 273).

Comment ces textes différents s'accordent-ils ? Vous l'expliquez souvent. Vous dites par exemple : «Nous sommes les plus ardents défenseurs de son autorité [celle du Pape actuel] comme successeur de Pierre... Nous applaudissons au Pape écho de la Tradition et fidèle à la transmission du dépôt de la Foi. Nous acceptons les nouveautés intimement conformes à la Tradition et à la Foi. Nous ne nous sentons pas liés par l'obéissance à des nouveautés qui vont contre la tradition et menacent notre Foi» (Lettre aux amis et bienfaiteurs, n° 9, oct. 1975 ; cfr. Un évêque..., p. 323). Bref, vous acceptez d'obéir au Pape en tant qu'il agit comme vrai successeur de Pierre et vous refusez d'obéir au Pape en tant qu'il agit d'une manière opposée. Ceci a lieu (d'après vos textes déjà cités dans ce paragraphe et dans le précédent) dans l'ensemble de la réforme post-conciliaire de Paul VI.

Cette distinction ne justifie objectivement pas votre attitude. Nous avons déjà dit pourquoi vos objections majeures contre les décisions du Pape en matière liturgique ne sont pas acceptables. Il convient en outre de rappeler ici que le Pape a la «potestas suprema iurisdictionis» «non solum in rebus quae ad fidem et mores sed etiam in iis quae ad disciplinam et regimen Ecclesiae per totum orbem diffusae pertinent» (Conc. Vat. 1, Const. Pastor Aeternus, DS 3064). L'obéissance qui lui est due (ibid. DS 3060) s'exprime notamment en notre temps par l'adhésion de l'ensemble des évêques avec la grande majorité de leur peuple au Concile Vatican II et aux décisions par lesquelles le Pape Paul VI en a mis en œuvre les dispositions. Cela ne devrait-il pas suffire pour vous faire mettre un grave coefficient de doute à ce que vous et vos amis proclamez imperturbablement et finalement pour vous ramener à une soumission libératrice ?

4. — Conclusion de cette deuxième partie

Tout en demeurant prête à écouter votre réponse, la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi estime que, par vos déclarations sur la soumission au Concile et aux réformes postconciliaires de Paul VI, - déclarations auxquelles s'accordent tout un comportement et en particulier des ordinations sacerdotales illicites, - vous êtes tombé dans une désobéissance grave, et que cet ensemble de déclarations et d'actes, de par leur logique propre, conduisent à un schisme. Elle connaît les bonnes intentions que vous manifestez, mais estime que celles-ci ne justifient pas votre insubordination.

III — REMARQUES FINALES

Cette annexe, Monseigneur, est une «contestation» ; son objet est donc limité. Elle ne parle pas des mérites que vous avez accumulés au cours d'une longue carrière missionnaire et épiscopale, elle ne fait qu'allusion, pour ce qui concerne votre situation présente, à des circonstances atténuantes de diverses natures. Mais la Congrégation qui vous écrit n'ignore pas ces choses.

Elle souhaite ardemment votre réconciliation plénière avec le Pape et avec l'Eglise. Elle pense que celle-ci est possible, avec une grande grâce de lumière qu'elle supplie le Seigneur de vous accorder. Elle est sûre que le Vicaire du Christ n'attend qu'une manifestation réelle de soumission de votre part, pour vous accueillir comme un père et qu'il voudra que soit sauvé tout ce que vos œuvres ont de valable.

Elle croit qu'en choisissant la voie de la soumission, vous apporterez à l'Eglise un immense bienfait, vous vous grandirez aux yeux des hommes et, ce qui compte souverainement, vous agirez en vrai disciple du Christ qui nous a sauvés par Son humble obéissance (Ph. 2, 8).

Franc. Card. Seper, Préf.

fr. Jérôme Filmer o. p. sect.